La gratuité, c’est le don (et le partage).

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Ces derniers temps, l’industrie du livre tire à boulets rouges sur toute évolution qui n’abonde pas dans son sens. La dernière grande levée de bouclier a commencé dès la publication du rapport REDA, réussissant avec un lobbying acharné à dénaturer une belle partie du rapport.

Cette semaine, il y a deux initiatives prises par l’industrie qui méritent d’être décriées. La première, je vais juste vous la citer, car elle a été bien détaillée par Neil Jomunsi : Une application de prêt de livre, Booxup, est dans le collimateur de l’industrie. Simplement, parce qu’un prêt de livre ne lui rapporte rien. (Résumé grossier, mais c’est réellement ce qui se passe).

Le syndicat national de l’édition français a continué sa joute envers le rapport REDA en sortant aujourd’hui un pamphlet nauséabond, bourré de mauvaise foi, intitulé « la gratuité, c’est le vol ». Livre sincèrement illisible, on va donc démontrer que oui, cette réforme du droit d’auteur est plus que nécessaire.

Le premier point qui me saute aux yeux, en lisant le pamphlet, c’est que l’industrie tremble devant les géants du web, les GAFAM (Monsieur Malka, regardez bien, il y a un M). Ces acteurs ont axé leur business sur l’auto-édition et rendu facile la publication de tout ouvrage. N’importe qui, en quelques clics, peut publier son livre, que ce soit au format numérique ou papier. En quelques années, ils sont devenus incontournables et extrêmement populaires en embrassant le numérique à vitesse grand V. L’édition traditionnelle a peiné et n’arrive pas à s’adapter. Alors qu’elle annonce dans son manifeste un virage réussi, on ne peut que constater que cette affirmation est tout simplement mensongère : les livres numériques sont bien souvent plus chers que leur équivalent papier, alors qu’ils ne nécessitent aucune logistique ou manutention, et sont reproductibles à l’infini sans aucun frais. Le catalogue, quant à lui, est pauvre. Il est normal donc de dire que le numérique ne décolle pas chez eux. Ce n’est pas dû au lecteur qui ne veut pas s’adapter : si l’offre vient à manquer ou est trop chère, il se tournera vers une autre solution.

Toujours selon ce manifeste, les GAFAM mettent les auteurs en danger et qu’ils vont les appauvrir. Dans certains cas, je ne peux pas le contredire, comme avec l’offre Kindle Unlimited où l’auteur est payé à la page lue, mais dans le cas de la vente d’une œuvre, c’est totalement faux. On remarque d’ailleurs que la rémunération de l’auteur est omise du manifeste. Les royalties touchées par un auteur sur Amazon, Google Books et consort sont bien plus généreuses que celles proposées par un éditeur classique. La moyenne est de 35 %, et cela peut aller jusque 70 %. Hors, la moyenne pour l’édition traditionnelle est de 8 %. Dans ce cas, dites-moi, qui est le plus respectueux de l’auteur ?

Vient ensuite tout un chapitre insistant sur le fait que la réforme initiée par Julia est une négation démocratique. On arrive, selon moi, à l’apogée de la mauvaise foi. Je rappelle juste que dans démocratie, il y a bien le mot grec dêmos (le peuple). On parle bien de législation qui touche le plus grand nombre et pas un acteur parmi d’autres. Dans la réforme, c’est bien ce qui est proposé : protéger l’intérêt du citoyen. Favoriser une minorité, une industrie, est donc, toujours selon le syndicat de l’édition, le seul choix démocratique possible. N’arrivant pas à s’adapter, il tente de criminaliser toutes nos pratiques du partage qui ont pourtant fait vivre bon nombre d’œuvres.

La gratuité est donc le vol pour les acteurs de l’édition francophone. On ne peut mieux résumer la pensée de l’industrie avec cette phrase. C’est pour cette raison que le prêt entre particulier doit être puni (voir l’article de Neil Jomunsi cité plus haut), que le prêt en bibliothèque est soumis à condition, que les bouquinistes sont vus d’un mauvais œil. C’est pour cette raison que vous n’achetez plus un livre, que vous payez une licence, un droit de lecture sur une œuvre. Ce que vous payez ne vous appartient plus. Dans ce cas de « DRMisation » à outrance, qui est le voleur ? La gratuité, ce geste pourtant essentiel dans notre société, est mauvaise simplement parce qu’elle ne rapporte pas un centime, parce que l’industrie ne peut avoir un droit de regard. Il ne faut pas oublier une chose : tout mouvement ou personne qui acquiert une once de pouvoir craint de le perdre. Elle fera tout pour garder son pouvoir. C’est ce que le syndicat de l’édition essaye de faire dans cet ultime tour de force.

Lorsque je lis ce pamphlet, je me rends compte qu’il vient d’un cri d’agonie d’un monstre. Pour éviter de crever, il tente le tout pour le tout, en jouant sur la mauvaise foi, les non-dits, et l’absence de connaissance sérieuse de « leur ennemi ». Pourtant, je ne suis pas particulièrement friand des GAFAM, mais ils ont eu l’idée, ils ont compris que les personnes qu’il fallait soigner étaient les auteurs. Pas les intermédiaires entre l’auteur et le libraire. Dans un monde numérique comme le nôtre, l’intermédiaire n’a plus de raison d’être. Un auteur peut s’entourer lui-même de relecteurs, de conseillers pour retravailler son histoire. Il peut passer par un prestataire pour la distribution de son œuvre.

Non, la gratuité n’est pas le vol. Elle fait perdre des plumes à cette industrie qui vampirise le travail des auteurs en ne leur laissant que des miettes. Et hors GAFAM et édition classique, il y a une troisième voie, celle que j’ai choisi, synonyme pour moi d’avenir (même si là encore, dans quelques années, je devrai m’adapter. Car rien n’est fini dans ce monde, rien n’est acquis. Un beau jour un Amazon se fera ramasser par un concurrent qui apportera des idées nouvelles. On appelle cela l’évolution). Cette troisième voie, c’est « la gratuité, c’est le don ». Je mets mes œuvres dans le domaine public et je donne mes écrits. Ils sont là pour qui veut. Cette pratique, selon moi, place l’auteur et le lecteur dans un rapport privilégié. Rapport impossible avec ce vieux système de l’édition, qui se place en grand-maître tyrannique entre un auteur et son lectorat. La gratuité, c’est le don et le partage. Parce qu’un lecteur voudra de toute manière soutenir son auteur favori, il n’a pas besoin d’un grand éditeur avec sa matraque pour le menacer.

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Image du Tasmanian Archive and Heritage Office sous licence CC BY-NC

5 Commentaires

  1. Retour Ping« Et t’as essayé de te faire éditer ? »

  2. Excellent billet.

    Merci pour ces arguments de taille contre les éditeurs et leur délire paranoiaque.

  3. Retour Pingla gratuité, c’est le vol ? | spirale.io

  4. Retour Ping#3.4 « GEEK

  5. … »cette industrie qui vampirise le travail des auteurs en ne leur laissant que des miettes. »

    Pour le dire autrement on peut ajouter que, pour tous les éditeurs traditionnels, le contenu qu’ils utilisent et dont ils font commerce est.gratuit. Le travail d’un auteur ou d’un artiste (qui prend parfois des années, par ex un écrivain qui travaille 3 ou 4 ans sur un projet) n’est simplement pas pris en compte.
    L’iniquité d’un tel système repose en grande partie sur l’investissement nécessaire à la fabrication et à la distribution d’un livre, en échange de quoi les auteurs acceptent (mais j’espère qu’ils deviendront de moins en moins nombreux) d’apporter leur contenu gratuitement sur un plateau.et de voir passer 97% des recettes au dessus de leur tête. C’est bien le système traditionnel de l’édition qui doit être considéré comme du vol.

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